La définition de la faute grave du salarié en droit social
En droit de travail, la notion de faute n’est appréhendée qu’en fonction de la sanction disciplinaire qui l’accompagne, en ce sens, le code du travail fait référence à la sanction prise par l’employeur suite à un comportement qualifié comme fautif, mais sans définir précisément les fautes susceptibles de justifier la décision disciplinaire.
Néanmoins, on peut déduire, à travers les différentes dispositions réglementaires qui encadrent les sanctions disciplinaires, que la faute en droit du travail peut être définie comme un comportement du salarié, ne correspondant pas à l’exécution normale du contrat de travail, constituant ainsi, un manquement à une obligation légale, conventionnelle, contractuelle ou réglementaire, même si le comportement reproché n’est pas volontaire.
Cependant, cette déduction reste très relative lorsqu’il s’agit d’une faute qualifiée comme grave, sachant les conséquences lourdes qui peuvent en découler pour le salarié, c’est sans doute, cette considération qui explique l’abondance de la doctrine en la matière, mais également, la contribution de l’OIT, dans la définition de la faute grave en la considérant comme « une faute de nature telle que l’on ne peut raisonnablement exiger de l’employeur qu’il continue à accepter ce travailleur pendant la période du préavis ». [1]
Au Maroc, le terme de faute grave a été utilisé pour la première fois dans le dahir du 12 Aout 1913 dans son article 78, qui stipule que « chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais aussi par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe (…) la faute consiste à faire ce dont on était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage ». [2]
Cette notion de faute grave sera reprise par la législation du travail, mais sans pour autant donner une définition précise, en effet, l’arrêté résidentiel de 1948,[3] s’est contenté d’énumérer certaines fautes considérées comme graves et justifiant la rupture du contrat de travail, tout en établissant une distinction entre la faute grave justifiant la rupture sans droit au préavis ni indemnités, et celle moins grave, donnant droit au préavis et aux indemnités. La même orientation sera reprise dans la loi 65.99 qui a établi dans son article 39 une nouvelle liste non limitative, des fautes graves pouvant justifier le licenciement.
Devant l’inexistence d’une définition précise de la faute grave au niveau de la législation de travail, la doctrine a contribué à la mise en évidence de la complexité de cette notion, en essayant d’apporter des éléments d’appréhension et de délimitation de ses contours, élargissant ainsi, la vision des juges, amenés à se prononcer sur les agissements reprochés, en prenant compte du contexte dans lequel ils se sont produits.
A cet égard, la jurisprudence a proposé une définition de la faute grave, en indiquant qu’il « s’agit de toutes les fautes qui compromettent les rapports de travail au point que le maintien du salarié dans son poste, apparaisse impossible même pendant la durée limitée du préavis ».[4]
Cette définition s’est limitée à prendre en considération certains agissements et leurs conséquences sur le contrat du travail, cependant, ces dispositions peuvent s’appliquer aussi bien à la faute grave qu’à la faute lourde.
En France, les bases de la réglementation des rapports de travail ont été initiées par la loi du 13 juillet 1973,[5] laquelle complétées par la loi du 4 Aout 1982,[6] qui a constitué la référence en matière disciplinaire, cependant, aucune définition précise n’a été donnée à la faute grave, ainsi elle est considérée comme « tout agissement du salarié considéré comme fautif ». [7]
De son côté, le Ministère de travail a tenté, suite à l’adoption de la loi de 1982, d’apporter des éléments de définition, en précisant que l’agissement considéré comme fautif devrait être un comportement « ne correspondant pas à l’exécution normale de la relation contractuelle ». [8]
En outre, l’administration du travail a également ajouté quelques indications, quant à la définition de la faute grave, en indiquant que « le comportement du salarié, ‘devrait’ en principe, se manifester par un acte positif ou par une abstention de nature volontaire ». [9]
Face à ce vide législatif, la richesse de la doctrine française en matière de droit disciplinaire, a été déterminante dans la mise en évidence des limites des textes législatifs, en proposant des approches qui ont contribué à influer les positions jurisprudentielles dans leur appréciation des éléments caractéristiques de la faute grave.
A cet égard, l’évolution de la jurisprudence a pu établir, au fur et à mesure, les éléments permettant de mieux cerner la faute grave et la différencier des autres fautes, ainsi, la Cour de cassation dans son arrêt du 22 avril 1964, a défini la faute grave comme celle « caractérisée par un comportement rendant impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise pendant la durée du préavis ».[10] Néanmoins, cette définition s’est limitée dans la qualification de la faute, aux effets et conséquences de l’agissement reproché.
Ensuite, la Cour de cassation a défini la faute grave comme celle qui « peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ».[11] Cette définition sera complétée ultérieurement, en indiquant que « la faute commise par le salarié, ne peut être qualifiée de grave que si elle a eu une répercussion sur le fonctionnement normal de l’entreprise »,[12] mettant ainsi, l’accent sur les conséquences de la faute sur l’entreprise et le préjudice qu’elle pourrait subir.
A travers cette évolution de la jurisprudence, on peut déduire que la faute grave se caractérise par l’adjonction de plusieurs éléments sans lesquels, elle ne pourrait être invoquée comme motif de licenciement.
Ainsi, le fait reproché doit constituer une violation des obligations relatives au contrat de travail rendant impossible le maintien du salarié dans son travail, et justifie la mise à pied conservatoire, eu égard à son impact sur le fonctionnement normal de l’entreprise.
Il appartient en effet, au juge d’apprécier les éléments qui lui sont fournis, pour déterminer si la faute commise est de nature à justifier un licenciement pour faute grave, en ce sens, une faute légère sans conséquences graves ne peut être retenue comme motif de licenciement, elle peut cependant, faire l’objet d’une sanction correspondante à son degré de gravité, il est donc important de faire la distinction entre les différentes fautes qu’un salarié peut commettre au sein de l’entreprise, c’est à travers cette distinction que l’on peut apporter une garantie aux salariés, vis-à-vis tout abus, dans l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur.
Extrait du mémoire : la faute grave du salarié
A.RAMI
[1] Convention de l’OIT (n° 158) sur le licenciement, 1982.
[2] Art.78, Code des obligations et des contrats.
[3] Article 6 de l’arrêté résidentiel du 23 octobre 1948 portant détermination du statut type fixant les rapports entre les salariés qui exercent une profession commerciale, industrielle ou libérale.
[4] Arrêt n°190 Chambre sociale du 16/06/1986, Doss.Soc, 6400/85, inédit
[5] Loi n°73-680 du 13 juillet 1973 portant modification du code du travail en ce qui concerne la résiliation du contrat de travail à durée indéterminé
[6] Loi n°82-689 du 4 août 1982 sur les droits et libertés des travailleurs dans l’entreprise
[7] Art L1331-1 code du travail français
[8] Circulaire DRT, n° 5-83 du 15 mars 1983 Relative à l’application des articles 1er à 5 de la loi du 4 août 1982 concernant les libertés des travailleurs dans l’entreprise. BO du ministère chargé de l’emploi n° 16 21 MAI 1983
[9] MARCANTONI M.A, « La faute en droit du travail », support de cours en droit du travail, Paris éd. 1.4 Janv. 2019, université paris 1 PANTHEON SORBONNE, p 13
[10] Cour de cassation, Chambre sociale, du 22 avril 1964, Publié au bulletin N° 320
[11] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 septembre 2007, 06-43.867, Publié au bulletin 2007, V, N° 146
[12] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 janvier 2013, 11-21.069, Inédit